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Analyses et Perspectives

En Afrique francophone, les élections sont devenues une routine. Les bulletins sont glissés dans les urnes, les campagnes électorales s’enchaînent, les observateurs internationaux défilent… mais la démocratie, elle, reste souvent fragile. En Côte d’Ivoire comme ailleurs, les tensions politiques persistent, la confiance citoyenne s’érode, et les institutions peinent à garantir un jeu démocratique transparent. Ce paradoxe soulève une question centrale : pourquoi, malgré la formalisation démocratique, les avancées politiques et sociales restent-elles incomplètes ?

Depuis les années 1990, le continent africain a connu une vague de démocratisation. Selon l’Afrobarometer 2023, plus de 70 % des Africains se disent favorables à un régime démocratique. Pourtant, cette aspiration reste souvent trahie par les pratiques politiques. En 2023, plus de la moitié des pays d’Afrique subsaharienne étaient classés comme « non libres » ou « partiellement libres » par Freedom House. Les avancées institutionnelles ne se traduisent pas systématiquement par une gouvernance efficace, encore moins par un développement équitable.

Les pays afro-francophones ont hérité d’un appareil étatique centralisé, conçu par les colonisateurs pour le contrôle, non pour la participation citoyenne. À l’indépendance, les dirigeants issus des luttes de libération ont souvent reproduit ces schémas autoritaires. La présidence à vie, le parti unique et la personnalisation du pouvoir sont devenus la norme dans des pays comme la Guinée (Sékou Touré), le Cameroun (Ahidjo, puis Biya), ou encore la Côte d’Ivoire (Houphouët-Boigny, 1960-1993).

Ce modèle postcolonial, qui privilégie la loyauté à l’État plutôt que la reddition de comptes, a empêché l’émergence d’un véritable contrat social fondé sur la participation démocratique.

La fin de la Guerre froide a coïncidé avec une pression internationale accrue pour la démocratisation. Sous l’effet des conditionnalités d’aide du FMI, de la Banque mondiale et des mobilisations internes, plusieurs pays africains ont organisé des conférences nationales souveraines (Bénin, Congo, Togo) et réintroduit le multipartisme.

Le Bénin a été le symbole d’un renouveau démocratique, avec une alternance pacifique dès 1991, qui s’est maintenue pendant plusieurs décennies. Mais à l’approche de nouvelles élections présidentielles, les regards restent tournés vers Cotonou : les conditions d’une compétition équitable, l’ouverture de l’espace politique et le respect des principes démocratiques seront des indicateurs importants du maintien de cet équilibre.

Ailleurs, la transition a été plus incertaine. Des processus électoraux ont été utilisés pour consolider un pouvoir autoritaire sous couverture démocratique. En Côte d’Ivoire, la période post-1990 a été marquée par une série de conflits politiques (2002, 2010) révélant la fragilité des institutions et la politisation des identités.

Le Ghana reste un modèle régional, avec des institutions stables, une justice électorale fonctionnelle, et des alternances réussies depuis 1992. Le Sénégal, malgré les tensions récentes autour de la réforme du calendrier électoral en 2024, a longtemps incarné une démocratie respectueuse des libertés fondamentales. Le Cap-Vert, plus discret, incarne une démocratie insulaire apaisée et résiliente.

Mais dans d’autres pays, les acquis démocratiques sont constamment remis en cause : prolongation des mandats présidentiels par révision constitutionnelle (Côte d’Ivoire 2020, Togo 2019), répression de l’opposition (Guinée 2020–2021), coups d’État (Mali, Burkina Faso, Niger). En Côte d’Ivoire, malgré un climat plus apaisé depuis 2021, la démocratie reste en tension : la réconciliation est inachevée, l’espace civique est restreint, et la méfiance envers les institutions perdure. Le développement ne se résume pas au PIB. Le PNUD utilise l’Indice de Développement Humain (IDH), qui prend en compte l’éducation, la santé et les revenus. Cette approche met en évidence des écarts profonds entre la croissance économique affichée et la qualité de vie réelle des citoyens.

La Côte d’Ivoire, par exemple, a connu un taux de croissance moyen de 6–7 % entre 2012 et 2019, mais 39 % de la population vivait encore sous le seuil de pauvreté en 2023 (Banque mondiale). Ce paradoxe n’en est pas un : la croissance non inclusive, centrée sur quelques secteurs ou zones urbaines, masque la stagnation de larges pans de la population. Le Botswana, souvent cité en exemple, a su articuler démocratie et développement. Grâce à une gestion rigoureuse de ses ressources naturelles (diamants), à une fiscalité claire, à des institutions indépendantes et à un leadership politique responsable, le pays affiche un IDH de 0,735 en 2022 (PNUD), l’un des plus élevés du continent.

Le lien entre démocratie et développement n’est pas mécanique, mais il est stratégique. Là où les institutions sont stables, inclusives et responsables, la croissance est mieux partagée. À l’inverse, une croissance sans institutions solides est souvent fragile, inégalitaire et réversible. La démocratie est donc un levier de développement quand elle s’incarne dans des pratiques de gouvernance ouvertes, transparentes et orientées vers l’intérêt général.

La Côte d’Ivoire, à l’orée de l’élection présidentielle de 2025, incarne les dilemmes d’une démocratie en quête de consolidation. Le pays a l’opportunité de franchir un cap — non pas en multipliant les discours sur la paix, mais en réconciliant réellement les institutions et les citoyens, en élargissant l’espace du débat politique, et en garantissant des élections crédibles.

Dans l’ensemble des pays afro-francophones, une réflexion stratégique s’impose. La démocratie ne peut plus être pensée uniquement comme une mécanique électorale importée. Il faut construire une démocratie endogène, enracinée dans les réalités sociales, les défis économiques et les aspirations locales. Cela implique de nouveaux leaders — pas simplement jeunes ou neufs — mais responsables, compétents, porteurs d’une éthique publique forte et capables d’articuler gouvernance et résultats.

_Fatim ZAHARA

La Côte d’Ivoire, vitrine de la croissance en Afrique de l’Ouest, affiche un développement des infrastructures impressionnants. Routes flambant neuves, ponts majestueux, réseau électrique en expansion, fibre optique en déploiement : les chantiers se multiplient. Pourtant, derrière cette vitrine de modernité, une réalité plus contrastée, voire inquiétante, se dessine.

Des infrastructures à deux vitesses

Le développement des infrastructures ivoiriennes semble obéir à une logique à deux vitesses. D’un côté, les grands centres urbains, Abidjan en tête, bénéficient d’investissements massifs. Des projets phares, tels que le 4ᵉ pont d’Abidjan ou le métro, captent l’essentiel des ressources, laissant les zones rurales en marge.

Cette concentration des investissements accentue les inégalités territoriales. Dans les campagnes, où vie une grande partie de la population, les infrastructures de base sont insuffisantes : routes dégradées, accès limité à l’électricité et à l’eau potable, couverture numérique déficiente. Ce déséquilibre freine le développement économique local et alimente l’exode rural.

Qualité et durabilité en question

Au-delà de la quantité, la qualité et la durabilité des infrastructures posent problème. Certains projets, réalisés dans l’urgence, présentent des malfaçons et nécessitent des réparations coûteuses. L’absence d’entretien régulier accélère la dégradation des infrastructures, écourtant leur durée de vie et augmentant les coûts à long terme.

L’impact environnemental des grands projets est également préoccupant. Une vision à court terme conduit à négliger des enjeux majeurs tels que la déforestation, la pollution et la destruction des écosystèmes.

Une transformation numérique en demi-teinte

Un récent rapport de Bloomfield Intelligence évalue les progrès de la transformation numérique de l’administration publique ivoirienne en 2025. L’analyse révèle un tableau contrasté, oscillant entre avancées encourageantes et défis persistants.

L’un des points saillants du rapport est la stabilité des notes attribuées, tant pour 2025 que pour les perspectives à court et long terme. À l’exception d’une légère amélioration attendue des performances économiques, les indicateurs stagnent. Cette absence de progression significative interroge sur l’efficacité des politiques mises en œuvre et la capacité du pays à accélérer sa transition numérique.

Gouvernance : des efforts insuffisants ?

La gouvernance, pilier essentiel de toute transformation, obtient une note de 6,5, inchangée par rapport aux prévisions. Cette stabilité peut être perçue comme une difficulté à mettre en œuvre des réformes profondes. Des interrogations subsistent sur la transparence, l’efficacité des institutions et la lutte contre la corruption.

Cadre réglementaire : un frein à l’innovation ?

Avec une note de 5,5, le cadre réglementaire et juridique demeure un point faible. Bien que les perspectives soient stables, cela indique que des obstacles juridiques et administratifs persistent, freinant le développement du secteur numérique. Des réformes sont-elles envisagées pour encourager l’innovation et l’investissement ?

Également notée 5,5, la structure du secteur semble manquer de dynamisme. Cette stagnation peut s’expliquer par un manque de concurrence, une concentration excessive du marché ou des difficultés à attirer les investissements. Des mesures sont-elles prévues pour favoriser l’émergence de nouvelles entreprises et stimuler la compétitivité ?

Performances économiques :une lueur d’espoir ?

Seul indicateur en amélioration, la performance économique devrait progresser légèrement, passant de 6,5 à 7. Cette hausse est-elle le résultat d’investissements stratégiques ou d’un effet d’entraînement lié à d’autres secteurs ? Une analyse approfondie des moteurs de cette croissance serait nécessaire.

Note globale : un potentiel inexploité

Avec une note globale de 6,0, en légère hausse à 6,3, la Côte d’Ivoire peine à concrétiser ses ambitions en matière de transformation numérique. Ce bilan en demi-teinte appelle à une remise en question des stratégies actuelles et à une accélération des réformes.

L’évaluation de Bloomfield Intelligence doit être perçue comme une alerte. La Côte d’Ivoire doit intensifier ses efforts pour lever les obstacles à sa transformation numérique. Cela implique des réformes ambitieuses en matière de gouvernance, de réglementation et de structure du secteur, ainsi que des investissements ciblés dans les infrastructures et le développement des compétences.

Défis et perspectives

Pour un développement harmonieux et durable, la Côte d’Ivoire doit relever plusieurs défis majeurs :

  • Rééquilibrer les investissements : Accorder une attention accrue aux zones rurales en développant les infrastructures de base et en favorisant le développement local.
  • Améliorer la qualité et la durabilité : Renforcer les contrôles techniques, assurer un entretien régulier et intégrer les préoccupations environnementales dans la planification des projets.
  • Favoriser la participation citoyenne : Impliquer les populations locales dans la conception et la mise en œuvre des projets afin de mieux répondre à leurs besoins et garantir l’appropriation des infrastructures.
  • Lutter contre la corruption : Assurer la transparence et la bonne gouvernance dans la gestion des fonds alloués aux infrastructures pour éviter détournements et gaspillages.

Le développement des infrastructures est un levier essentiel de la croissance économique et du bien-être social. Cependant, pour que la Côte d’Ivoire devienne un véritable modèle de développement, elle doit impérativement corriger les déséquilibres et les faiblesses de son approche actuelle.

Ndlr : En pièce jointe, le rapport de Bloomfield Intelligence.

_Paul-Axel KOUAME

L’Afrique de l’Ouest, riche en ressources solaires, éoliennes et hydrauliques, possède un potentiel considérable pour les énergies renouvelables. Pourtant, ces atouts restent largement sous-exploités. Des obstacles comme le manque d’infrastructures, des régulations insuffisantes et des difficultés d’accès au financement freinent leur développement à grande échelle.

Malgré ces défis, des initiatives prometteuses émergent. Des projets régionaux soutenus par la CEDEAO, des investissements massifs de la Banque mondiale, et une volonté politique croissante dans des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, montrent que la transition énergétique est en marche. Si ces efforts se concrétisent, l’Afrique de l’Ouest pourrait devenir un

un modèle mondial en matière d’énergie verte, tout en réduisant sa dépendance aux combustibles fossiles.

La suite de cette analyse sera à découvrir dans le numéro de lancement d’ADN Politics.

Un nouveau souffle pour l’intégration économique africaine.


La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), officiellement lancée en 2021, représente une avancée majeure pour l’intégration économique régionale en Afrique. Avec un marché commun de plus de 1 milliard de personnes et un PIB cumulé de 3 000 milliards de dollars, elle vise à supprimer les barrières tarifaires, stimuler les échanges intra-africains, et diversifier les économies du continent. Cependant, cette initiative ambitieuse fait face à des défis, notamment l’infrastructure insuffisante, le protectionnisme persistant, et des disparités économiques entre les pays membres. Pour maximiser ses bénéfices, des efforts en matière de

coopération politique, d’investissement infrastructurel et de facilitation des échanges sont indispensables. La Côte d’Ivoire, en tant que puissance économique ouest-africaine, a un rôle clé à jouer dans la réussite de la ZLECAf. Avec ses secteurs agricoles et manufacturiers dynamiques, le pays pourrait considérablement accroître ses exportations tout en profitant d’un accès élargi au marché continental.

La suite de cette analyse et ses implications pour la Côte d’Ivoire seront dévoilées dans le numéro de lancement d’ADN Politics.

La révolution silencieuse : Comment la technologie transforme l’agriculture ivoirienne.

Dans les champs ivoiriens, une transformation modernisatrice est en marche. Des technologies innovantes, telles que les drones, l’IA et l’IoT, modifient profondément les pratiques agricoles, promettant des gains en productivité, une meilleure préservation de l’environnement et une résilience accrue face aux changements climatiques.

L’Internet des objets (IoT) : Une optimisation sans précédent

Les capteurs IoT collectent des données cruciales sur les sols, l’humidité et la température, permettant une agriculture de précision. Ces informations, fournies en temps réel, aident à optimiser les pratiques agricoles et à protéger les écosystèmes.

Drones : Une vision aérienne pour l’efficacité

Les drones offrent une surveillance précise des cultures, détectant rapidement les problèmes sanitaires. Ils facilitent la création de cartes de précision pour une gestion différenciée et automatisent certaines tâches laborieuses, réduisant ainsi la pénibilité du travail.

Intelligence artificielle : Booster l’innovation agricole

L’IA transforme le secteur en analysant d’énormes quantités de données pour optimiser les rendements. Elle propose des solutions personnalisées, aidant les agriculteurs à améliorer leur productivité tout en réduisant les coûts.

Défis et opportunités pour l’adoption de l’IA en Côte d’Ivoire

Les principaux défis incluent le coût des technologies, le besoin urgent de formation, la qualité des données disponibles,

la fracture numérique et la résistance aux nouvelles pratiques. Pourtant, l’IA offre des perspectives prometteuses : optimisation des ressources, gestion durable de l’eau, et création de nouvelles filières et emplois.

Vers un modèle agricole durable

Investir dans ces technologies permettra à la Côte d’Ivoire d’améliorer sa sécurité alimentaire et son développement économique, tout en devenant un exemple d’agriculture durable en Afrique. La digitalisation du secteur agricole est cruciale pour le développement du continent, nécessitant des infrastructures adéquates, le soutien à l’innovation et la promotion de collaborations internationales.

Malgré ces progrès, il reste des questions à explorer : Comment surmonter les obstacles à l’adoption des technologies ? Comment intégrer productivité et durabilité environnementale ? Quel rôle peuvent jouer les organisations internationales dans cette transformation ? Ces thèmes feront l’objet de nos futures analyses.