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Analyses et Perspectives

En ce mois de juillet 2025, la Côte d’Ivoire entre dans une phase charnière de son histoire politique. Tandis que les lignes du pouvoir se dessinent lentement, une nouvelle génération de figures politiques investit l’espace public avec des ambitions nationales parfois présidentielles, parfois citoyennes, mais toujours stratégiques.

À l’heure où l’usure des anciens récits politiques se fait sentir, la communication devient un levier central : comment se dire autrement ? Comment capter une population jeune, critique, connectée, lassée des discours figés ? Le langage politique n’est plus un simple art oratoire ; il est devenu une architecture stratégique, capable de construire ou d’effondrer une ambition.

C’est dans ce contexte que plusieurs personnalités émergent. Chacune à sa manière incarne une tentative de rupture, de renouvellement ou de continuité réinventée. Mais leur légitimité ne se mesure plus uniquement à leur parcours ou à leur ancrage partisan : elle se jauge à leur capacité à porter autrement l’outil politique, à créer un lien réel avec la population, et à proposer une vision économique claire, apte à répondre aux défis sociaux et structurels du pays.

C’est cette aptitude à réconcilier action politique, lien citoyen et transformation économique qui fera demain la différence entre ceux qui suscitent une adhésion durable, et ceux qui ne feront que traverser l’actualité.

Voici une lecture exigeante de leur communication politique.

1. Tidjane Thiam : la stature sans la présence

S’il fallait incarner, en une seule figure, la rigueur, l’élégance intellectuelle et la réussite internationale, nombre de regards ivoiriens se tourneraient spontanément vers Tidjane Thiam. L’homme impressionne : par son parcours hors normes, sa maîtrise des codes de la finance globale, sa réputation bâtie au sein des plus hauts cercles décisionnels. Il inspire confiance, rassure, impose.

Son retour en politique a, logiquement, suscité un regain d’intérêt, voire d’enthousiasme chez ceux qui voient en lui un vecteur de réhabilitation du mérite, de l’efficacité et du sérieux dans la gestion publique. Pour beaucoup, il incarne une figure dans la lignée du président Alassane Ouattara. Mais là où ce dernier a su catalyser une attente populaire en se présentant comme l’homme des solutions concrètes, Tidjane Thiam peine à faire sentir sa présence autrement que par des discours structurés, maîtrisés, mais souvent déconnectés de l’émotion collective.

Sa parole demeure figée dans une posture institutionnelle, rigide, presque froide, s’adressant davantage à des cercles restreints — actionnaires ou partenaires économiques qu’à une population en quête d’écoute et d’incarnation. Ses interventions, bien construites, visent à convaincre, mais rarement à entraîner. Il parle à l’intelligence, rarement au cœur. Il expose, mais ne rassemble pas. Il affirme, mais ne fédère pas encore. Or, à l’heure où la politique est autant affaire de narration que d’orientation, cette absence de récit partagé l’éloigne d’une large part du corps social.

Le peuple ivoirien n’est plus un peuple passif. C’est une population jeune, lucide, résiliente et inventive, qui contribue déjà, souvent à bout de souffle, à l’édification de l’économie nationale. À ce peuple, on ne promet plus des milliards ni des miracles. On crée du lien. On démontre une compréhension sincère de la dureté du quotidien. On parle moins pour briller que pour faire corps avec les luttes, les doutes, les espérances.

En s’intégrant aux dynamiques du PDCI-RDA, Tidjane Thiam a certes démontré une capacité d’adaptation. Il a su manœuvrer au sein des jeux d’alliances, des rapports générationnels, des équilibres internes. Mais dans cet exercice, il a peu à peu effacé ce qui faisait sa singularité : sa capacité à transcender les lignes partisanes pour incarner un espoir transversal. S’il parvient à habiter l’espace politique, non pas seulement avec expertise, mais avec humanité, alors il pourra devenir plus qu’un technocrate de talent : un homme d’État — au sens plein — capable de parler à tous, d’Abidjan à Korhogo, de Yopougon à Man, et d’incarner un cap collectif, concret et sensible.

2. Koné Tiémoko Meyliet : la parole suspendue, ou l’art du silence stratégique

Gouverneur de la BCEAO devenu vice-président de la République, Koné Tiémoko reste une figure discrète, voire énigmatique. Sa communication politique est marquée par la sobriété, la retenue, et une prudence assumée. Sa parole, loin d’être expansive ou populiste, incarne stabilité, loyauté et continuité dans un système présidentiel encore incertain quant à son avenir électoral.

Dans un contexte où le président Ouattara n’a pas encore clarifié ses intentions, cette discrétion n’est pas un défaut, mais une posture stratégique misant sur la construction lente d’un capital politique. Sa communication vise les sphères institutionnelles, plus que l’opinion publique — une stratégie de fond plus que de forme.

Cette approche, fondée sur la loyauté et la maîtrise des codes étatiques, interroge néanmoins sa capacité à mobiliser une jeunesse en quête de renouveau et de visibilité. Dans ce sens, Koné Tiémoko incarne à la fois la continuité nécessaire et un défi majeur : ne pas rester dans l’ombre, mais émerger comme un leader capable d’incarner l’avenir, en prise avec les réalités populaires.

3. Assalé Tiémoko : le citoyen empathique face aux exigences du leadership Politique

Journaliste d’investigation devenu député-maire, Assalé Tiémoko s’impose comme l’une des voix les plus libres, incisives et redoutées du paysage politique. À travers ses prises de position publiques et ses interventions en ligne, il incarne une figure à la croisée du lanceur d’alerte, du militant civique et de l’élu engagé.

Sa communication repose sur un triptyque redoutable : dénonciation des abus, appel à la vérité, quête de transparence. Son langage, direct et sans fioritures, s’inspire du journalisme. Il ne cherche pas à séduire, mais à réveiller, informer, interpeller.

Ce style tranche avec celui des figures politiques classiques. Assalé ne parle pas « comme un politique », mais comme un citoyen en lutte, troquant la distance bureaucratique pour une indignation partagée. Cette posture lui confère une authenticité précieuse, surtout auprès des jeunes, des intellectuels critiques et des déçus des partis traditionnels.

Mais la question reste posée : la dénonciation suffit-elle à bâtir un projet politique ? Comment passer de l’alerte à la proposition, du contre-pouvoir à l’exercice du pouvoir ? Une critique même juste ne peut constituer à elle seule une alternative crédible. Elle doit s’accompagner d’une vision, d’un programme structuré et d’un récit fédérateur.

Le défi d’Assalé Tiémoko est donc clair : convertir sa rhétorique de vérité en un projet politique articulé, capable de dépasser son cercle naturel de sympathisants. De sentinelle du système, il peut devenir l’un de ses refondateurs à condition d’entrer dans l’ère du projet.

4. Vincent Toh Bi : le citoyen empathique et pédagogue.

Vincent Toh Bi incarne une figure singulière dans le paysage politique ivoirien : celle d’un homme profondément ancré dans l’écoute, proche des populations, dont la communication se distingue par sa douceur, son humanité et sa pédagogie sociale. Son discours s’écarte des codes classiques de conquête ; il cherche plutôt à se reconnecter aux réalités concrètes du quotidien.

Il adopte une posture horizontale du pouvoir : il parle avec les citoyens, et non à eux. Cette nuance installe une relation de co-construction, où le politique devient médiateur plutôt qu’imposeur.

Cette posture lui vaut un attachement affectif dans l’opinion, notamment chez ceux qui aspirent à un renouveau éthique de la politique. Mais une communication présidentielle ne peut se limiter à l’empathie ou à la proximité. Elle exige vision, cap, autorité symbolique.

La tension est donc stratégique : comment conjuguer cette éthique relationnelle, qui fait sa force, avec l’affirmation d’un leadership clair, capable de rassembler et de gouverner ? Le citoyen empathique devra, s’il le souhaite, devenir un leader visionnaire capable non seulement de comprendre les douleurs du peuple, mais aussi de tracer, avec lui, un chemin ambitieux et fédérateur.

5. Jean-Louis Billon : le réformateur libéral à la communication segmentée.

Jean-Louis Billon articule sa communication autour d’une vision économique libérale qu’il présente comme levier majeur de transformation. Il s’adresse à un pays à développer, avec les outils d’un entrepreneur convaincu des vertus du marché et du rôle du secteur privé.

Cette posture lui confère une légitimité auprès des milieux d’affaires et d’une classe moyenne émergente. Sa parole est claire, rigoureuse, sans populisme. Mais elle reste segmentée. Elle touche peu les couches populaires, les jeunes en quête d’identité politique, les femmes, les travailleurs informels ou les agriculteurs souvent absents des récits économiques classiques.

Dans une société où l’économie se vit comme une lutte quotidienne, une communication purement technique ne suffit plus. Il faut incarner une émotion, une espérance, une vision capable de rassembler au-delà des élites économiques.

Le défi de Billon est donc d’élargir son registre : traduire ses ambitions libérales en récits populaires, rendre tangibles ses propositions pour le citoyen ordinaire, et articuler performance et solidarité. Dans une Côte d’Ivoire jeune, urbaine et connectée, l’efficacité économique ne suffit plus : il faut désormais habiter le quotidien, incarner une promesse, et faire des réformes une expérience vécue et partagée.

6. Ahoua Don Mello, technocrate de la réserve stratégique.

Ahoua Don Mello est aujourd’hui l’un des profils les plus solides et les plus cohérents de la scène politique ivoirienne. Représentant officiel des BRICS pour l’Afrique centrale et occidentale, vice-président du PPACI en charge de la promotion du panafricanisme, ancien ministre de l’Équipement et de l’Assainissement sous le gouvernement du président Laurent Gbagbo et une figure stratégique de l’aile gauche souverainiste panafricaine.

Sa parole politique est rigoureuse, conceptuellement construite, et nourrie par une vision claire : celle d’une Afrique réconciliée avec elle-même, forte de ses ressources, affranchie de ses dépendances systémiques, et bâtie sur une dynamique de développement endogène. Son positionnement s’inscrit dans une ligne cohérente, celle de la souveraineté économique, institutionnelle et technologique, au service d’une pensée panafricaniste pragmatique. À ce titre, Ahoua Don Mello incarne une verticalité intellectuelle que peu de figures politiques ivoiriennes portent avec autant de constance.

Mais dans un paysage politique de plus en plus façonné par l’exigence de proximité, son principal défi ne tient pas à la densité de sa pensée, mais à sa faible exposition et à son déficit d’incarnation auprès du grand public. Il parle rarement. Il choisit ses interventions avec prudence. Et lorsqu’il s’exprime, c’est dans un langage de haute technicité, davantage orienté vers les sphères géopolitiques et les élites militantes que vers la population large, mouvante et connectée d’une Côte d’Ivoire en pleine mutation.

Cette posture, fidèle à ses convictions, peut paradoxalement le maintenir en retrait dans un contexte où la communication politique repose de plus en plus sur la construction d’une figure présente, accessible, ressentie. Les citoyens d’aujourd’hui n’attendent pas qu’on leur expose des théories de transformation. Ils attendent une parole politique qui s’inscrive dans leurs réalités quotidiennes.

Ahoua Don Mello ne doit pas renoncer à la hauteur de sa pensée. Mais il lui faut désormais la traduire. Traduire la complexité en clarté, sans la trahir. Traduire la souveraineté en actions visibles. Traduire le panafricanisme en gestes locaux.

Il n’est pas question ici de populisme ou de marketing. Il s’agit d’ancrage stratégique. Si Ahoua Don Mello souhaite durablement peser dans les équilibres politiques à venir, il doit apparaître, dialoguer, incarner. Il doit sortir du silence tactique pour entrer dans la narration politique. Non pas pour séduire, mais pour résonner avec un peuple qui ne le connaît pas encore assez pour le ressentir.

Car dans une époque où les figures politiques émergentes doivent conjuguer compétence et incarnation, l’un des plus brillants profils de la gauche souverainiste ivoirienne ne pourra affirmer son influence qu’en assumant une présence plus lisible. Une parole qui laisse une trace et un lien qui crée une mémoire.

_Jessica N’GUESSAN

Depuis plusieurs semaines, la question du quatrième mandat du président Alassane Ouattara se pose avec une intensité croissante, sans jamais trouver de réponse officielle. L’homme fort du pays, à la tête de l’État depuis 2011, maintient une position marquée par un silence méthodique. À ce jour, nous sommes début juillet 2025, et aucune déclaration publique claire n’a été faite quant à ses intentions électorales. Cette absence de positionnement officiel ne semble pas relever d’un simple oubli. Elle est de plus en plus perçue comme une stratégie de flou, dans laquelle chaque jour sans clarification maintient l’appareil politique, l’opinion et les acteurs économiques dans une forme d’attente calculée.

Ce flou stratégique s’inscrit dans un contexte institutionnel particulier. Le Président Alassane Ouattara, dont le poids diplomatique reste central dans les équilibres sous-régionaux, continue d’incarner une figure de stabilité aux yeux de nombreux partenaires ouest-africains. Ce rôle régional important, toutefois, ne l’oblige en rien à différer ou à expliciter ses choix sur la scène nationale.

Ce décalage, entre une présence diplomatique affirmée et un certain silence intérieur, alimente diverses lectures politiques : pour certains, c’est une stratégie de maîtrise ; pour d’autres, un signal d’attente, voire de retrait. Une chose est sûre : l’ambiguïté nourrit l’interprétation. Quoi qu’il en soit, le silence du chef de l’État laisse l’espace politique national dans une incertitude qui a désormais des effets concrets, notamment sur l’économie.

Du point de vue économique, cette situation n’est pas neutre. Bien que les indicateurs macroéconomiques de la Côte d’Ivoire restent solides, avec une croissance soutenue et une trajectoire d’investissement relativement stable, plusieurs signaux faibles laissent apparaître des tensions. Les décisions majeures d’investissement, notamment dans les secteurs clés comme l’énergie, les infrastructures ou encore la transformation agricole, semblent marquer un certain ralentissement. Dans les cercles économiques privés, cette incertitude politique freine les engagements à long terme. Les opérateurs attendent un signal clair sur la stabilité institutionnelle post-2025, avant de renforcer leur exposition au marché ivoirien.

Ce silence impacte également la lisibilité du pays sur la scène internationale. La Côte d’Ivoire, souvent citée comme un modèle de stabilité relative en Afrique de l’Ouest, risque de perdre cet avantage si la succession présidentielle reste enfermée dans un flou prolongé. Les partenaires techniques et financiers, les agences de notation, les investisseurs internationaux observent tous avec attention le climat pré-électoral. Or, dans la perspective d’un quatrième mandat, plusieurs interrogations se posent : quelle sera la qualité du processus démocratique ? Quelles garanties institutionnelles seront offertes à l’opposition et à la société civile ? Et surtout, quelle cohérence politique permettra de maintenir l’élan économique engagé ces dernières années ?

Le parallèle avec certaines pratiques observées dans la sous-région n’est pas anodin. À mesure que l’option d’un quatrième mandat reste en suspens, une partie de l’opinion publique s’interroge sur le respect du principe d’alternance démocratique. En l’absence d’un débat ouvert et transparent sur les enjeux de gouvernance, le risque est grand de voir s’installer une forme de désaffection citoyenne, voire une montée des tensions sociales. La société civile, bien que divisée, commence à exprimer plus fermement son exigence de clarté. Une démocratie mature ne peut fonctionner durablement dans l’ambiguïté. Et l’économie, de son côté, a besoin de prévisibilité pour s’inscrire dans une dynamique durable.

Trois grandes hypothèses se dessinent aujourd’hui, mais aucune ne permet une lecture univoque.

Si le président décide de se représenter, il ne s’agira pas simplement d’affronter des critiques sur le respect des principes démocratiques. Il faudra surtout anticiper l’onde de choc que pourrait provoquer une telle décision dans une opinion encore marquée par les tensions de 2020. Cette année-là, la révision constitutionnelle et la candidature à un troisième mandat avaient déjà entraîné une désobéissance civile d’ampleur, mettant à l’épreuve la résilience des institutions et la cohésion sociale. Un quatrième mandat, dans ce contexte, serait-il politiquement soutenable ? Et surtout, quelles en seraient les conséquences concrètes pour la stabilité du pays et la confiance économique à moyen terme ?

Si, au contraire, le président choisit de se retirer, la question de la succession deviendra centrale. Elle exigera une stratégie de transmission claire, lisible, capable de rassurer les marchés tout en tenant compte de l’équilibre interne au sein du parti au pouvoir. Mais dans un paysage politique où de nouveaux visages gagnent du terrain, cette transition pourrait-elle déboucher sur un véritable basculement ? Serait-ce la fin d’un cycle ?

Enfin, si le flou actuel devait se prolonger au-delà de l’été, sans déclaration officielle ni calendrier précis, il faudra aussi considérer les effets d’une telle incertitude. Une fatigue politique pourrait s’installer, tant au sein des élites que dans l’opinion. L’usure du non-choix, dans une démocratie jeune mais exigeante, peut-elle affaiblir durablement les dynamiques institutionnelles ? Et jusqu’où ce brouillard politique pourrait-il peser sur la vitalité économique, sur le climat des affaires, sur la mobilisation citoyenne elle-même ?

Ce que le grand public doit comprendre, c’est que le débat autour d’un éventuel quatrième mandat dépasse la seule question politique. Il s’agit d’un enjeu transversal, à la croisée de la gouvernance, de la stabilité démocratique, de la confiance économique et du positionnement régional de la Côte d’Ivoire. L’attente d’un mot, d’un signal ou d’une décision ne concerne pas seulement les militants ou les adversaires politiques. Elle engage l’avenir économique du pays, les orientations budgétaires à venir, les priorités de développement, et la capacité de la Côte d’Ivoire à rester crédible sur le long terme.

Ce n’est donc pas un simple suspense institutionnel. C’est une séquence stratégique, lourde de conséquences, qui exige de la clarté, de la méthode, et une vision de sortie. Le président a encore la main sur le tempo. Mais à mesure que les semaines passent, ce n’est plus le silence qui protège le pouvoir. C’est la parole, et le cap qu’elle tracera, qui en garantira la solidité.

Au moment où l’Afrique de l’Ouest s’interroge sur sa souveraineté énergétique, sa résilience face aux chocs mondiaux et sa capacité à transformer ses ressources en valeur ajoutée durable, la Côte d’Ivoire fait le choix d’une stratégie assumée : celle d’un État aménageur et intégrateur, qui veut à la fois garantir l’accès à l’électricité à tous ses citoyens et repositionner le pays comme hub énergétique et extractif régional.

La création du Comité national de suivi du Pacte National Énergie n’est pas une simple mesure administrative. Elle acte la volonté de traduire l’objectif d’électrification universelle d’ici 2030 en mécanisme politique piloté, avec une obligation de résultats. Appuyée par des bailleurs de référence (Banque mondiale, BAD), l’initiative « Mission 300 » devient un levier de modernisation territoriale. C’est aussi une traduction concrète d’un impératif : décentraliser l’énergie pour décloisonner le développement.

La ratification d’un prêt de 103,3 millions d’euros pour le projet WAPP avec le Ghana est, quant à elle, une décision hautement géopolitique. Elle conforte la Côte d’Ivoire dans son rôle de puissance pivot de l’intégration électrique régionale, capable d’absorber les variations de demande tout en exportant de la stabilité. C’est une manière d’inscrire la souveraineté énergétique nationale dans un schéma coopératif sous-régional, intelligemment structuré.

Mais la nouveauté réside aussi dans la montée en puissance du pilier extractif. L’autorisation accordée à CENTAMIN pour des recherches aurifères à Kani et Séguéla, tout comme l’ouverture de négociations avec le géant brésilien PETROBRAS sur les blocs offshore en eaux profondes, montre une chose : la Côte d’Ivoire choisit de diversifier ses partenaires et d’approfondir la carte stratégique de ses sous-sols, avec une attention nouvelle portée aux zones jusqu’ici peu exploitées.

Derrière ces décisions politiques se dessine une réorganisation des chaînes de valeur énergétiques et extractives, qui offre des fenêtres d’opportunités sans précédent pour le secteur privé local :

               •             Dans l’énergie : les besoins massifs en électrification rurale, la pose d’infrastructures, la digitalisation du réseau, l’entretien des lignes et des équipements, ou encore la gestion de la consommation intelligente sont autant de marchés ouverts pour les start-up, PME et ingénieries locales.

               •             Dans le secteur minier : les prospections, les travaux préparatoires, les activités de sous-traitance, de forage, de transport, ou encore d’ingénierie environnementale appellent des expertises locales à se structurer, à se regrouper, et à se professionnaliser rapidement.

               •             Dans le pétrole : l’arrivée de nouveaux acteurs comme PETROBRAS va nécessairement générer une demande accrue en services logistiques, juridiques, portuaires et sécuritaires, où les entreprises ivoiriennes peuvent se positionner.

Ce moment politique ne doit pas être analysé uniquement à travers le prisme de la gouvernance des ressources. Il témoigne aussi d’un changement de paradigme stratégique : la Côte d’Ivoire ne cherche plus seulement à exploiter ou à stabiliser — elle cherche désormais à organiser un écosystème cohérent, articulant les ambitions de l’État aux capacités du privé.

C’est précisément là que réside l’enjeu : la transformation ne viendra pas uniquement d’en haut, mais par la capacité du tissu économique à s’approprier ces plans, à se structurer autour, et à créer de la valeur dans la durée.

Pour les entrepreneurs ivoiriens, il ne s’agit plus d’attendre des retombées. Il s’agit de lire les signaux faibles, de cartographier les chantiers à venir, de proposer des modèles agiles, ancrés dans les territoires, connectés aux partenaires techniques, et alignés sur les nouvelles exigences ESG.

En Afrique francophone, les élections sont devenues une routine. Les bulletins sont glissés dans les urnes, les campagnes électorales s’enchaînent, les observateurs internationaux défilent… mais la démocratie, elle, reste souvent fragile. En Côte d’Ivoire comme ailleurs, les tensions politiques persistent, la confiance citoyenne s’érode, et les institutions peinent à garantir un jeu démocratique transparent. Ce paradoxe soulève une question centrale : pourquoi, malgré la formalisation démocratique, les avancées politiques et sociales restent-elles incomplètes ?

Depuis les années 1990, le continent africain a connu une vague de démocratisation. Selon l’Afrobarometer 2023, plus de 70 % des Africains se disent favorables à un régime démocratique. Pourtant, cette aspiration reste souvent trahie par les pratiques politiques. En 2023, plus de la moitié des pays d’Afrique subsaharienne étaient classés comme « non libres » ou « partiellement libres » par Freedom House. Les avancées institutionnelles ne se traduisent pas systématiquement par une gouvernance efficace, encore moins par un développement équitable.

Les pays afro-francophones ont hérité d’un appareil étatique centralisé, conçu par les colonisateurs pour le contrôle, non pour la participation citoyenne. À l’indépendance, les dirigeants issus des luttes de libération ont souvent reproduit ces schémas autoritaires. La présidence à vie, le parti unique et la personnalisation du pouvoir sont devenus la norme dans des pays comme la Guinée (Sékou Touré), le Cameroun (Ahidjo, puis Biya), ou encore la Côte d’Ivoire (Houphouët-Boigny, 1960-1993).

Ce modèle postcolonial, qui privilégie la loyauté à l’État plutôt que la reddition de comptes, a empêché l’émergence d’un véritable contrat social fondé sur la participation démocratique.

La fin de la Guerre froide a coïncidé avec une pression internationale accrue pour la démocratisation. Sous l’effet des conditionnalités d’aide du FMI, de la Banque mondiale et des mobilisations internes, plusieurs pays africains ont organisé des conférences nationales souveraines (Bénin, Congo, Togo) et réintroduit le multipartisme.

Le Bénin a été le symbole d’un renouveau démocratique, avec une alternance pacifique dès 1991, qui s’est maintenue pendant plusieurs décennies. Mais à l’approche de nouvelles élections présidentielles, les regards restent tournés vers Cotonou : les conditions d’une compétition équitable, l’ouverture de l’espace politique et le respect des principes démocratiques seront des indicateurs importants du maintien de cet équilibre.

Ailleurs, la transition a été plus incertaine. Des processus électoraux ont été utilisés pour consolider un pouvoir autoritaire sous couverture démocratique. En Côte d’Ivoire, la période post-1990 a été marquée par une série de conflits politiques (2002, 2010) révélant la fragilité des institutions et la politisation des identités.

Le Ghana reste un modèle régional, avec des institutions stables, une justice électorale fonctionnelle, et des alternances réussies depuis 1992. Le Sénégal, malgré les tensions récentes autour de la réforme du calendrier électoral en 2024, a longtemps incarné une démocratie respectueuse des libertés fondamentales. Le Cap-Vert, plus discret, incarne une démocratie insulaire apaisée et résiliente.

Mais dans d’autres pays, les acquis démocratiques sont constamment remis en cause : prolongation des mandats présidentiels par révision constitutionnelle (Côte d’Ivoire 2020, Togo 2019), répression de l’opposition (Guinée 2020–2021), coups d’État (Mali, Burkina Faso, Niger). En Côte d’Ivoire, malgré un climat plus apaisé depuis 2021, la démocratie reste en tension : la réconciliation est inachevée, l’espace civique est restreint, et la méfiance envers les institutions perdure. Le développement ne se résume pas au PIB. Le PNUD utilise l’Indice de Développement Humain (IDH), qui prend en compte l’éducation, la santé et les revenus. Cette approche met en évidence des écarts profonds entre la croissance économique affichée et la qualité de vie réelle des citoyens.

La Côte d’Ivoire, par exemple, a connu un taux de croissance moyen de 6–7 % entre 2012 et 2019, mais 39 % de la population vivait encore sous le seuil de pauvreté en 2023 (Banque mondiale). Ce paradoxe n’en est pas un : la croissance non inclusive, centrée sur quelques secteurs ou zones urbaines, masque la stagnation de larges pans de la population. Le Botswana, souvent cité en exemple, a su articuler démocratie et développement. Grâce à une gestion rigoureuse de ses ressources naturelles (diamants), à une fiscalité claire, à des institutions indépendantes et à un leadership politique responsable, le pays affiche un IDH de 0,735 en 2022 (PNUD), l’un des plus élevés du continent.

Le lien entre démocratie et développement n’est pas mécanique, mais il est stratégique. Là où les institutions sont stables, inclusives et responsables, la croissance est mieux partagée. À l’inverse, une croissance sans institutions solides est souvent fragile, inégalitaire et réversible. La démocratie est donc un levier de développement quand elle s’incarne dans des pratiques de gouvernance ouvertes, transparentes et orientées vers l’intérêt général.

La Côte d’Ivoire, à l’orée de l’élection présidentielle de 2025, incarne les dilemmes d’une démocratie en quête de consolidation. Le pays a l’opportunité de franchir un cap — non pas en multipliant les discours sur la paix, mais en réconciliant réellement les institutions et les citoyens, en élargissant l’espace du débat politique, et en garantissant des élections crédibles.

Dans l’ensemble des pays afro-francophones, une réflexion stratégique s’impose. La démocratie ne peut plus être pensée uniquement comme une mécanique électorale importée. Il faut construire une démocratie endogène, enracinée dans les réalités sociales, les défis économiques et les aspirations locales. Cela implique de nouveaux leaders — pas simplement jeunes ou neufs — mais responsables, compétents, porteurs d’une éthique publique forte et capables d’articuler gouvernance et résultats.

_Fatim ZAHARA

La Côte d’Ivoire, vitrine de la croissance en Afrique de l’Ouest, affiche un développement des infrastructures impressionnants. Routes flambant neuves, ponts majestueux, réseau électrique en expansion, fibre optique en déploiement : les chantiers se multiplient. Pourtant, derrière cette vitrine de modernité, une réalité plus contrastée, voire inquiétante, se dessine.

Des infrastructures à deux vitesses

Le développement des infrastructures ivoiriennes semble obéir à une logique à deux vitesses. D’un côté, les grands centres urbains, Abidjan en tête, bénéficient d’investissements massifs. Des projets phares, tels que le 4ᵉ pont d’Abidjan ou le métro, captent l’essentiel des ressources, laissant les zones rurales en marge.

Cette concentration des investissements accentue les inégalités territoriales. Dans les campagnes, où vie une grande partie de la population, les infrastructures de base sont insuffisantes : routes dégradées, accès limité à l’électricité et à l’eau potable, couverture numérique déficiente. Ce déséquilibre freine le développement économique local et alimente l’exode rural.

Qualité et durabilité en question

Au-delà de la quantité, la qualité et la durabilité des infrastructures posent problème. Certains projets, réalisés dans l’urgence, présentent des malfaçons et nécessitent des réparations coûteuses. L’absence d’entretien régulier accélère la dégradation des infrastructures, écourtant leur durée de vie et augmentant les coûts à long terme.

L’impact environnemental des grands projets est également préoccupant. Une vision à court terme conduit à négliger des enjeux majeurs tels que la déforestation, la pollution et la destruction des écosystèmes.

Une transformation numérique en demi-teinte

Un récent rapport de Bloomfield Intelligence évalue les progrès de la transformation numérique de l’administration publique ivoirienne en 2025. L’analyse révèle un tableau contrasté, oscillant entre avancées encourageantes et défis persistants.

L’un des points saillants du rapport est la stabilité des notes attribuées, tant pour 2025 que pour les perspectives à court et long terme. À l’exception d’une légère amélioration attendue des performances économiques, les indicateurs stagnent. Cette absence de progression significative interroge sur l’efficacité des politiques mises en œuvre et la capacité du pays à accélérer sa transition numérique.

Gouvernance : des efforts insuffisants ?

La gouvernance, pilier essentiel de toute transformation, obtient une note de 6,5, inchangée par rapport aux prévisions. Cette stabilité peut être perçue comme une difficulté à mettre en œuvre des réformes profondes. Des interrogations subsistent sur la transparence, l’efficacité des institutions et la lutte contre la corruption.

Cadre réglementaire : un frein à l’innovation ?

Avec une note de 5,5, le cadre réglementaire et juridique demeure un point faible. Bien que les perspectives soient stables, cela indique que des obstacles juridiques et administratifs persistent, freinant le développement du secteur numérique. Des réformes sont-elles envisagées pour encourager l’innovation et l’investissement ?

Également notée 5,5, la structure du secteur semble manquer de dynamisme. Cette stagnation peut s’expliquer par un manque de concurrence, une concentration excessive du marché ou des difficultés à attirer les investissements. Des mesures sont-elles prévues pour favoriser l’émergence de nouvelles entreprises et stimuler la compétitivité ?

Performances économiques :une lueur d’espoir ?

Seul indicateur en amélioration, la performance économique devrait progresser légèrement, passant de 6,5 à 7. Cette hausse est-elle le résultat d’investissements stratégiques ou d’un effet d’entraînement lié à d’autres secteurs ? Une analyse approfondie des moteurs de cette croissance serait nécessaire.

Note globale : un potentiel inexploité

Avec une note globale de 6,0, en légère hausse à 6,3, la Côte d’Ivoire peine à concrétiser ses ambitions en matière de transformation numérique. Ce bilan en demi-teinte appelle à une remise en question des stratégies actuelles et à une accélération des réformes.

L’évaluation de Bloomfield Intelligence doit être perçue comme une alerte. La Côte d’Ivoire doit intensifier ses efforts pour lever les obstacles à sa transformation numérique. Cela implique des réformes ambitieuses en matière de gouvernance, de réglementation et de structure du secteur, ainsi que des investissements ciblés dans les infrastructures et le développement des compétences.

Défis et perspectives

Pour un développement harmonieux et durable, la Côte d’Ivoire doit relever plusieurs défis majeurs :

  • Rééquilibrer les investissements : Accorder une attention accrue aux zones rurales en développant les infrastructures de base et en favorisant le développement local.
  • Améliorer la qualité et la durabilité : Renforcer les contrôles techniques, assurer un entretien régulier et intégrer les préoccupations environnementales dans la planification des projets.
  • Favoriser la participation citoyenne : Impliquer les populations locales dans la conception et la mise en œuvre des projets afin de mieux répondre à leurs besoins et garantir l’appropriation des infrastructures.
  • Lutter contre la corruption : Assurer la transparence et la bonne gouvernance dans la gestion des fonds alloués aux infrastructures pour éviter détournements et gaspillages.

Le développement des infrastructures est un levier essentiel de la croissance économique et du bien-être social. Cependant, pour que la Côte d’Ivoire devienne un véritable modèle de développement, elle doit impérativement corriger les déséquilibres et les faiblesses de son approche actuelle.

Ndlr : En pièce jointe, le rapport de Bloomfield Intelligence.

_Paul-Axel KOUAME

L’Afrique de l’Ouest, riche en ressources solaires, éoliennes et hydrauliques, possède un potentiel considérable pour les énergies renouvelables. Pourtant, ces atouts restent largement sous-exploités. Des obstacles comme le manque d’infrastructures, des régulations insuffisantes et des difficultés d’accès au financement freinent leur développement à grande échelle.

Malgré ces défis, des initiatives prometteuses émergent. Des projets régionaux soutenus par la CEDEAO, des investissements massifs de la Banque mondiale, et une volonté politique croissante dans des pays comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, montrent que la transition énergétique est en marche. Si ces efforts se concrétisent, l’Afrique de l’Ouest pourrait devenir un

un modèle mondial en matière d’énergie verte, tout en réduisant sa dépendance aux combustibles fossiles.

La suite de cette analyse sera à découvrir dans le numéro de lancement d’ADN Politics.

Un nouveau souffle pour l’intégration économique africaine.


La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), officiellement lancée en 2021, représente une avancée majeure pour l’intégration économique régionale en Afrique. Avec un marché commun de plus de 1 milliard de personnes et un PIB cumulé de 3 000 milliards de dollars, elle vise à supprimer les barrières tarifaires, stimuler les échanges intra-africains, et diversifier les économies du continent. Cependant, cette initiative ambitieuse fait face à des défis, notamment l’infrastructure insuffisante, le protectionnisme persistant, et des disparités économiques entre les pays membres. Pour maximiser ses bénéfices, des efforts en matière de

coopération politique, d’investissement infrastructurel et de facilitation des échanges sont indispensables. La Côte d’Ivoire, en tant que puissance économique ouest-africaine, a un rôle clé à jouer dans la réussite de la ZLECAf. Avec ses secteurs agricoles et manufacturiers dynamiques, le pays pourrait considérablement accroître ses exportations tout en profitant d’un accès élargi au marché continental.

La suite de cette analyse et ses implications pour la Côte d’Ivoire seront dévoilées dans le numéro de lancement d’ADN Politics.

La révolution silencieuse : Comment la technologie transforme l’agriculture ivoirienne.

Dans les champs ivoiriens, une transformation modernisatrice est en marche. Des technologies innovantes, telles que les drones, l’IA et l’IoT, modifient profondément les pratiques agricoles, promettant des gains en productivité, une meilleure préservation de l’environnement et une résilience accrue face aux changements climatiques.

L’Internet des objets (IoT) : Une optimisation sans précédent

Les capteurs IoT collectent des données cruciales sur les sols, l’humidité et la température, permettant une agriculture de précision. Ces informations, fournies en temps réel, aident à optimiser les pratiques agricoles et à protéger les écosystèmes.

Drones : Une vision aérienne pour l’efficacité

Les drones offrent une surveillance précise des cultures, détectant rapidement les problèmes sanitaires. Ils facilitent la création de cartes de précision pour une gestion différenciée et automatisent certaines tâches laborieuses, réduisant ainsi la pénibilité du travail.

Intelligence artificielle : Booster l’innovation agricole

L’IA transforme le secteur en analysant d’énormes quantités de données pour optimiser les rendements. Elle propose des solutions personnalisées, aidant les agriculteurs à améliorer leur productivité tout en réduisant les coûts.

Défis et opportunités pour l’adoption de l’IA en Côte d’Ivoire

Les principaux défis incluent le coût des technologies, le besoin urgent de formation, la qualité des données disponibles,

la fracture numérique et la résistance aux nouvelles pratiques. Pourtant, l’IA offre des perspectives prometteuses : optimisation des ressources, gestion durable de l’eau, et création de nouvelles filières et emplois.

Vers un modèle agricole durable

Investir dans ces technologies permettra à la Côte d’Ivoire d’améliorer sa sécurité alimentaire et son développement économique, tout en devenant un exemple d’agriculture durable en Afrique. La digitalisation du secteur agricole est cruciale pour le développement du continent, nécessitant des infrastructures adéquates, le soutien à l’innovation et la promotion de collaborations internationales.

Malgré ces progrès, il reste des questions à explorer : Comment surmonter les obstacles à l’adoption des technologies ? Comment intégrer productivité et durabilité environnementale ? Quel rôle peuvent jouer les organisations internationales dans cette transformation ? Ces thèmes feront l’objet de nos futures analyses.