Dans un monde où la culture s’impose comme un moteur économique puissant, l’Afrique et plus particulièrement la Côte d’Ivoire peinent encore à structurer ce secteur pour en faire une source durable de croissance et d’emplois. Pourtant, les industries culturelles et créatives connaissent une expansion fulgurante et génèrent des revenus considérables dans de nombreux pays.

Dans cette dynamique, ADN Politics, fidèle à sa mission d’explorer les politiques de demain, celles qui relèvent les défis de structuration et de développement, s’intéresse à l’essor de l’industrie culturelle et aux opportunités qu’elle représente pour la Côte d’Ivoire.
C’est dans cette perspective que nous avons rencontré Traoré Salif, alias A’salfo, artiste de renom, entrepreneur et acteur engagé dans la promotion de l’économie culturelle. Il nous partage donc sa vision, les défis du secteur et les solutions à envisager pour faire de la culture un pilier stratégique du développement ivoirien.
ADN Politics : Aujourd’hui, les industries culturelles connaissent une croissance notable à l’échelle mondiale. Pourtant, en Côte d’Ivoire, elles peinent encore à s’imposer comme un pilier économique structuré. Pourquoi, selon vous ?
Asalfo : Il est indéniable que la culture est un secteur porteur, qui génère des milliards dans de nombreux pays. En Afrique, et en Côte d’Ivoire particulièrement, nous avons un potentiel énorme en termes de talents et de créativité. Mais malheureusement, ce potentiel n’est pas suffisamment exploité sur le plan économique.
Le problème principal, c’est le manque de structuration et de financements adaptés. Nous avons des artistes talentueux, des entrepreneurs culturels ambitieux, mais sans cadre structuré, sans accompagnement et sans mécanismes financiers solides, il est difficile de bâtir une industrie culturelle véritablement rentable et durable.
Prenons un exemple frappant : avec plus de 26 milliards de dollars collectés dans le monde pour financer l’industrie culturelle, l’Afrique ne capte que 50 millions de dollars. Cet écart montre bien que nous n’avons pas encore su créer un environnement favorable pour attirer ces fonds et développer notre secteur culturel.
ADN Politics : Vous parlez de manque de structuration. Quels sont, selon vous, les principaux freins et comment les surmonter ?
Asalfo : Il y a plusieurs obstacles majeurs à franchir pour que la culture devienne un vrai levier économique en Côte d’Ivoire :
- Le manque de financements adaptés
Aujourd’hui, les banques et les investisseurs privés sont encore réticents à financer les industries culturelles. Ils ne comprennent pas toujours leurs spécificités et perçoivent le secteur comme trop risqué. L’État doit mettre en place des mécanismes de garantie, permettant aux entrepreneurs culturels d’accéder à des financements adaptés.-
- L’absence de politiques publiques ambitieuses pour la culture
Il faut inscrire la culture comme un axe stratégique du développement national.
L’État doit encourager la formation des artistes et entrepreneurs culturels, créer des infrastructures adaptées (studios, salles de spectacles, espaces d’expression culturelle), et favoriser les collaborations internationales.
- Un déficit d’infrastructures culturelles modernes
Beaucoup d’artistes peinent à trouver des espaces professionnels pour produire, créer et diffuser leurs œuvres.
Il est impératif de bâtir un écosystème structuré qui permette aux industries culturelles de prospérer.
« Il est temps de concevoir la culture comme une industrie et non plus comme un simple domaine artistique. Le modèle doit être repensé avec une vision économique et stratégique. »
ADN Politics : Vous plaidez pour un financement plus structuré des industries culturelles. Quels modèles proposez-vous pour y parvenir ?
Asalfo : Il faut développer un partenariat public-privé efficace, qui permettrait d’injecter des fonds et d’accompagner les acteurs culturels.
- Créer un fonds d’investissement pour la culture, destiné à soutenir les projets culturels innovants.
- Mettre en place des incitations fiscales pour encourager les entreprises privées à investir dans la culture.
- Favoriser des collaborations bilatérales et multilatérales, à l’image du Centre National de la Musique en France, qui soutient les artistes, finance la formation et accompagne les industries musicales.
- Encourager la diplomatie culturelle, afin de mieux exporter nos talents et nos créations à l’international.
ADN Politics : En tant que membre du Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel (CESEC), quelles actions menez-vous pour défendre cette vision ?
Asalfo : Mon engagement au CESEC vise justement à faire entendre la voix du secteur culturel dans les grandes décisions économiques. Nous travaillons à convaincre les pouvoirs publics que les industries culturelles doivent être considérées comme un pilier du développement national.
« La culture ne doit plus être perçue uniquement comme du divertissement. C’est un secteur créateur de richesses, d’emplois et d’opportunités économiques durables. »
Nous plaidons pour des réformes en profondeur, notamment sur le financement, l’accompagnement des entrepreneurs culturels et la mise en place d’une véritable politique d’exportation des productions ivoiriennes.

ADN Politics : Le Plan National de Développement 2026-2030 est en cours d’élaboration. Avez-vous des attentes particulières pour le secteur culturel ?
Asalfo : Absolument ! Ce PND est une opportunité pour intégrer la culture comme un axe majeur du développement économique de la Côte d’Ivoire.
Je souhaite voir des lignes budgétaires spécifiquement dédiées aux infrastructures culturelles, aux financements des entrepreneurs culturels et aux programmes de formation spécialisés.
D’ailleurs, la ministre de la Culture et de la Francophonie, Mme Françoise Remarck, a exposé cette vision au CESEC, et je suis convaincu qu’elle saura défendre des réformes ambitieuses pour notre industrie culturelle.
« Il est grand temps que les politiques publiques considèrent la culture comme un secteur clé. Ce n’est pas qu’une question de passion, c’est une question d’économie, de structuration et de vision à long terme. »
À travers cet échange, Asalfo met en évidence la nécessité d’un changement de paradigme : la culture ne doit plus être cantonnée au domaine artistique, mais considérée comme une véritable industrie économique.
La clé du succès réside dans la structuration, le financement et l’innovation. ADN Politics, dans sa mission d’anticiper et d’explorer les politiques de développement, continuera à suivre et à soutenir cette dynamique pour une intégration réussie de la culture dans l’économie ivoirienne.