Depuis plusieurs semaines, la question du quatrième mandat du président Alassane Ouattara se pose avec une intensité croissante, sans jamais trouver de réponse officielle. L’homme fort du pays, à la tête de l’État depuis 2011, maintient une position marquée par un silence méthodique. À ce jour, nous sommes début juillet 2025, et aucune déclaration publique claire n’a été faite quant à ses intentions électorales. Cette absence de positionnement officiel ne semble pas relever d’un simple oubli. Elle est de plus en plus perçue comme une stratégie de flou, dans laquelle chaque jour sans clarification maintient l’appareil politique, l’opinion et les acteurs économiques dans une forme d’attente calculée.

Ce flou stratégique s’inscrit dans un contexte institutionnel particulier. Le Président Alassane Ouattara, dont le poids diplomatique reste central dans les équilibres sous-régionaux, continue d’incarner une figure de stabilité aux yeux de nombreux partenaires ouest-africains. Ce rôle régional important, toutefois, ne l’oblige en rien à différer ou à expliciter ses choix sur la scène nationale.
Ce décalage, entre une présence diplomatique affirmée et un certain silence intérieur, alimente diverses lectures politiques : pour certains, c’est une stratégie de maîtrise ; pour d’autres, un signal d’attente, voire de retrait. Une chose est sûre : l’ambiguïté nourrit l’interprétation. Quoi qu’il en soit, le silence du chef de l’État laisse l’espace politique national dans une incertitude qui a désormais des effets concrets, notamment sur l’économie.
Du point de vue économique, cette situation n’est pas neutre. Bien que les indicateurs macroéconomiques de la Côte d’Ivoire restent solides, avec une croissance soutenue et une trajectoire d’investissement relativement stable, plusieurs signaux faibles laissent apparaître des tensions. Les décisions majeures d’investissement, notamment dans les secteurs clés comme l’énergie, les infrastructures ou encore la transformation agricole, semblent marquer un certain ralentissement. Dans les cercles économiques privés, cette incertitude politique freine les engagements à long terme. Les opérateurs attendent un signal clair sur la stabilité institutionnelle post-2025, avant de renforcer leur exposition au marché ivoirien.
Ce silence impacte également la lisibilité du pays sur la scène internationale. La Côte d’Ivoire, souvent citée comme un modèle de stabilité relative en Afrique de l’Ouest, risque de perdre cet avantage si la succession présidentielle reste enfermée dans un flou prolongé. Les partenaires techniques et financiers, les agences de notation, les investisseurs internationaux observent tous avec attention le climat pré-électoral. Or, dans la perspective d’un quatrième mandat, plusieurs interrogations se posent : quelle sera la qualité du processus démocratique ? Quelles garanties institutionnelles seront offertes à l’opposition et à la société civile ? Et surtout, quelle cohérence politique permettra de maintenir l’élan économique engagé ces dernières années ?
Le parallèle avec certaines pratiques observées dans la sous-région n’est pas anodin. À mesure que l’option d’un quatrième mandat reste en suspens, une partie de l’opinion publique s’interroge sur le respect du principe d’alternance démocratique. En l’absence d’un débat ouvert et transparent sur les enjeux de gouvernance, le risque est grand de voir s’installer une forme de désaffection citoyenne, voire une montée des tensions sociales. La société civile, bien que divisée, commence à exprimer plus fermement son exigence de clarté. Une démocratie mature ne peut fonctionner durablement dans l’ambiguïté. Et l’économie, de son côté, a besoin de prévisibilité pour s’inscrire dans une dynamique durable.
Trois grandes hypothèses se dessinent aujourd’hui, mais aucune ne permet une lecture univoque.
Si le président décide de se représenter, il ne s’agira pas simplement d’affronter des critiques sur le respect des principes démocratiques. Il faudra surtout anticiper l’onde de choc que pourrait provoquer une telle décision dans une opinion encore marquée par les tensions de 2020. Cette année-là, la révision constitutionnelle et la candidature à un troisième mandat avaient déjà entraîné une désobéissance civile d’ampleur, mettant à l’épreuve la résilience des institutions et la cohésion sociale. Un quatrième mandat, dans ce contexte, serait-il politiquement soutenable ? Et surtout, quelles en seraient les conséquences concrètes pour la stabilité du pays et la confiance économique à moyen terme ?
Si, au contraire, le président choisit de se retirer, la question de la succession deviendra centrale. Elle exigera une stratégie de transmission claire, lisible, capable de rassurer les marchés tout en tenant compte de l’équilibre interne au sein du parti au pouvoir. Mais dans un paysage politique où de nouveaux visages gagnent du terrain, cette transition pourrait-elle déboucher sur un véritable basculement ? Serait-ce la fin d’un cycle ?
Enfin, si le flou actuel devait se prolonger au-delà de l’été, sans déclaration officielle ni calendrier précis, il faudra aussi considérer les effets d’une telle incertitude. Une fatigue politique pourrait s’installer, tant au sein des élites que dans l’opinion. L’usure du non-choix, dans une démocratie jeune mais exigeante, peut-elle affaiblir durablement les dynamiques institutionnelles ? Et jusqu’où ce brouillard politique pourrait-il peser sur la vitalité économique, sur le climat des affaires, sur la mobilisation citoyenne elle-même ?
Ce que le grand public doit comprendre, c’est que le débat autour d’un éventuel quatrième mandat dépasse la seule question politique. Il s’agit d’un enjeu transversal, à la croisée de la gouvernance, de la stabilité démocratique, de la confiance économique et du positionnement régional de la Côte d’Ivoire. L’attente d’un mot, d’un signal ou d’une décision ne concerne pas seulement les militants ou les adversaires politiques. Elle engage l’avenir économique du pays, les orientations budgétaires à venir, les priorités de développement, et la capacité de la Côte d’Ivoire à rester crédible sur le long terme.
Ce n’est donc pas un simple suspense institutionnel. C’est une séquence stratégique, lourde de conséquences, qui exige de la clarté, de la méthode, et une vision de sortie. Le président a encore la main sur le tempo. Mais à mesure que les semaines passent, ce n’est plus le silence qui protège le pouvoir. C’est la parole, et le cap qu’elle tracera, qui en garantira la solidité.