La création de l’Agence Spatiale de Côte d’Ivoire (ASCI), annoncée en Conseil des ministres, n’est pas un geste symbolique. Elle s’inscrit dans une reconfiguration profonde de la stratégie de développement ivoirienne, où la science appliquée, la maîtrise des données et la souveraineté technologique deviennent des outils concrets de gouvernance.

Derrière l’annonce, c’est une redéfinition silencieuse du rôle de l’État qui s’opère : celui d’un catalyseur technologique, non plus simple régulateur ou gestionnaire. En créant l’ASCI, le gouvernement ivoirien affirme un triple choix :
1. Inscrire la Côte d’Ivoire dans la géopolitique des données :
Observation terrestre, météorologie spatiale, satellites de communication — autant d’enjeux liés à la maîtrise stratégique de l’information. Dans un contexte où le climat, la sécurité et la gestion des ressources sont interdépendants, disposer d’infrastructures spatiales devient une exigence de souveraineté.
2. Se positionner dans la diplomatie technologique continentale :
Après le Nigeria et l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire fait son entrée dans le cercle restreint des pays africains à ambition spatiale. Ce choix technique est aussi un acte politique, qui redéfinit la place du pays dans les alliances scientifiques africaines et sud-sud.
3. Structurer la recherche et l’innovation comme filière économique :
L’ASCI ouvre une nouvelle voie pour institutionnaliser la recherche appliquée, en orientant les efforts vers des secteurs à haute valeur ajoutée : climat, agriculture intelligente, cybersécurité, mobilité intelligente.
Si l’État donne l’impulsion, la réussite de cette politique spatiale reposera sur la capacité du secteur privé à s’en emparer. Plusieurs filières sont directement concernées :
• Géomatique, cartographie, imagerie satellite : des startups peuvent désormais créer des solutions dédiées à l’aménagement du territoire, la gestion foncière ou la détection des risques.
• Cybersécurité, cryptographie, data science : chaque infrastructure spatiale est un espace à sécuriser. Les entreprises tech, cabinets de conseil, développeurs peuvent concevoir des solutions de protection et d’analyse des données sensibles.
• Formation, ingénierie, services spécialisés : l’ASCI devra s’appuyer sur un réseau de compétences locales. Les centres de formation, universités, écoles d’ingénieurs ont un rôle clé à jouer pour faire émerger une nouvelle génération de compétences spatiales ivoiriennes.
Ce nouveau cadre offre aux entrepreneurs l’opportunité d’anticiper les besoins de l’Agence, d’imaginer des solutions sur mesure, et de s’intégrer dans un écosystème naissant, à la croisée de l’innovation, de la souveraineté numérique et de la stratégie d’État.
L’Agence spatiale ivoirienne n’a pas vocation à lancer des fusées demain. Mais elle peut devenir un véritable levier d’industrialisation scientifique, si elle s’appuie sur une stratégie claire :
• Créer un cadre réglementaire agile pour favoriser l’innovation locale,
• Mobiliser les universités et centres de recherche comme pôles d’incubation,
• Faire émerger des champions technologiques nationaux capables de répondre aux besoins civils et sécuritaires,
• Éviter une politique de vitrine, en privilégiant les applications concrètes (gestion des forêts, agriculture, transport, climat…).
La création de l’ASCI est plus qu’un signal politique : c’est un pari sur l’intelligence, l’autonomie et la technologie comme socles du développement. Elle engage l’État, mais surtout, elle appelle les entrepreneurs ivoiriens à sortir de la seule logique de sous-traitance, pour devenir co-architectes d’une souveraineté technique africaine.
L’espace devient ici un territoire économique et politique, à conquérir non pas par la force, mais par la donnée, la science et l’intelligence collective.