Une rencontre aux allures diplomatiques, mais aux fondations économiques et géostratégiques solides. Dans un contexte où les transitions militaires se multiplient en Afrique de l’Ouest, le choix du Président Alassane Ouattara de recevoir officiellement le chef de l’État guinéen Mamadi Doumbouya ne relève ni du symbole gratuit, ni d’un alignement politique. Il s’agit d’un acte stratégique, porté par une lecture lucide des rapports de force régionaux, des intérêts économiques croisés, et de la nécessité de préserver un certain équilibre sous-régional dans un environnement devenu instable.

Abidjan est aujourd’hui l’un des centres nerveux de l’Afrique de l’Ouest. Plateforme économique, diplomatique, logistique et financière, la Côte d’Ivoire a tout intérêt à maintenir une zone d’influence sécurisée et économiquement connectée autour de ses frontières. Dans cette optique, la Guinée, pays frontalier et riche en ressources, représente un partenaire géoéconomique stratégique :
• Couloir d’interconnexion énergétique et logistique (transports, corridors ferroviaires et miniers, interconnexions électriques)
• Bassin d’approvisionnement et d’échange dans les régions de l’ouest ivoirien (San Pedro – Nzérékoré – Lola)
• Marché dynamique en reconstruction, ouvert aux investissements ivoiriens et ouest-africains
Recevoir le Président guinéen, c’est sécuriser l’environnement immédiat, maintenir les flux, stabiliser un voisin et éviter une fracture supplémentaire dans une sous-région déjà fragilisée par le départ du Burkina Faso, du Mali et du Niger des organes de la CEDEAO.
Contrairement aux images de désaccord ou d’isolement, les relations économiques entre la Guinée et la Côte d’Ivoire n’ont jamais cessé. De nombreux acteurs économiques ivoiriens sont déjà implantés en Guinée, notamment dans les secteurs :
• des télécoms,
• du BTP,
• de l’énergie,
• de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire.
La Guinée reste également un pays de transit stratégique pour plusieurs corridors commerciaux liés à l’exportation des ressources minières vers les ports ivoiriens.
La visite de Mamadi Doumbouya à Abidjan répond donc à une réalité souvent silencieuse : celle d’une coopération économique en cours de consolidation, que les deux États veulent formaliser, sécuriser et accélérer.
Une approche différenciée des transitions selon les leviers de convergence
Alassane Ouattara n’a pas adopté la même posture vis-à-vis des autres régimes de transition (Burkina Faso, Mali, Niger). Mais cette différence de traitement s’explique moins par une opposition de principe que par une analyse stratégique des postures et du potentiel de coopération.
Contrairement à d’autres transitions qui ont opté pour un repli radical et une rhétorique de rupture, Conakry a choisi le canal du dialogue bilatéral et de la stabilisation intérieure par l’économie.
Le président ivoirien, dont la diplomatie reste ancrée dans une vision technocratique du développement, privilégie les acteurs qui parlent le langage de la structuration, du projet et de l’interconnexion économique, même dans un contexte de transition. Ce choix n’est pas idéologique. Il est pragmatique.
Enfin, cette rencontre s’inscrit dans une recomposition silencieuse des équilibres régionaux. En recevant la Guinée, la Côte d’Ivoire joue un rôle de modérateur actif, sans prendre position sur le fond des régimes politiques, mais en maintenant une cohérence d’ensemble autour de la CEDEAO.
Alassane Ouattara le sait : la fragmentation de l’espace CEDEAO affaiblit l’ensemble de la région. Mais la marginalisation systématique de tous les régimes de transition est une impasse.
Recevoir Doumbouya, c’est garder un pied dans la diplomatie régionale tout en préparant une voie de retour graduelle pour les États en rupture partielle avec les institutions.
Au final, cette visite n’a pas pour but de valider un régime, ni de prendre position contre d’autres. Elle illustre une nouvelle grammaire diplomatique ouest-africaine, faite de lucidité, d’intérêts mutuels et d’anticipation des fragilités structurelles.
La Côte d’Ivoire agit ici en acteur rationnel, conscient que la stabilité de sa croissance dépend d’un environnement régional connecté, sécurisé et coopératif.
La Guinée, quant à elle, y trouve une ouverture stratégique.
Ce n’est pas une alliance politique.
C’est une reconnaissance pragmatique de réalités géopolitiques nouvelles.