La question du foncier et de l’immobilier demeure un enjeu majeur en Côte d’Ivoire, où l’urbanisation galopante et la pression foncière exacerbent les tensions entre acteurs publics, prétendants à la propriété et intermédiaires. Entre spéculation débridée, transactions frauduleuses et efforts de régulation gouvernementaux, la situation foncière ivoirienne oscille entre chaos et restructuration.

L’attrait pour les terres urbaines, notamment dans le Grand-Abidjan, a entraîné une multiplication des ventes illicites et des litiges interminables. La crise sociopolitique de 2002 à 2011 n’a pas arrangé les choses. Bien au contraire, elle a aggravé cette situation, conduisant à des cessions de terrains par des détenteurs non autorisés, y compris illégaux. Ces transactions opaques ont jeté le foncier urbain dans une anarchie difficile à maîtriser, marquée par des conflits récurrents sur la propriété des parcelles.
Un cas emblématique illustre cette dérive : en 2000, Abalo acquiert un terrain à Abidjan pour ses deux enfants, Alain et Ines, l’aînée. Après des démarches administratives en 2020, celle-ci découvre que le terrain légué par son défunt père a fait l’objet d’une double attribution. Un acquéreur malintentionné, D.M., a obtenu par un tour de passe-passe incroyable un Arrêté de concession définitive (ACD) sur la même parcelle. Manifestement, il a bénéficié de complicités internes au ministère de la Construction. L’affaire est toujours en instance devant le Conseil d’État, comme de milliers d’autres.
L’ACD : UNE SOLUTION POUR ASSAINIR LE FONCIER URBAIN

Conscient des dérives dans le secteur, qui défraie la chronique depuis près de deux semaines, alimentant plusieurs débats publics, l’État ivoirien a institué l’Arrêté de concession définitive (ACD) en 2013, sous l’instigation du ministre de l’époque, Mamadou Sanogo. Il s’agit d’un titre visant à sécuriser la propriété foncière. Toutefois, ce document est loin d’être la panacée censée mettre un terme aux tensions liées aux transactions foncières, surtout à Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké… Les terrains urbains devenant de plus chers au mètre carré, les appétits des multiples intervenants de la chaîne, deviennent voraces. Au nombre des affaires sombres qui illustre les problèmes du foncier, l’inculpation l’année dernière de quatre agents du ministère de la Construction.
Le juge d’instruction du pôle économique et financier les a inculpés pour faux et usage de faux commis dans des documents administratifs, escroquerie portant sur une somme estimée à 100 milliards FCFA et blanchiment de capitaux. « Sur les faits dénoncés, le procureur de la République près le pôle pénal, économique et financier, a instruit la direction de la police économique et financière à l’effet de diligenter une enquête. La procédure résultant de cette enquête a été transmise au parquet qui a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre les nommés Bamba Daouda, Diallo Abdoulaye, Kra Kouma et Hubert Kadjo Yomafou (…) A ce jour, l’instruction ouverte pour parvenir à la manifestation de la vérité suit son cours. Les inculpés bénéficient en conséquence de la présomption d’innocence », avait indiqué dans un communiqué le procureur de la République près le pôle pénal, économique et financier.
C’est que, un an plus tôt, le 28 mars 2023, des membres de la communauté villageoise d’Elokaté ont saisi le parquet d’une plainte pour les faits de faux et usage de faux en écriture publique. Au soutien de leur plainte, ils ont expliqué avoir découvert que la parcelle d’une contenance de 490 hectares 28 Ares et 57 Centiares sise dans le village d’Elokaté, sur laquelle ils détiennent des droits coutumiers, a fait l’objet d’arrêtés de concession définitive (ACD) établis au profit de plusieurs personnes physiques et morales. Selon les plaignants, les mis en cause ont également obtenu la délivrance des attestations domaniales sur leurs parcelles sises à Elokaté avec l’aide de certains agents du ministère de la Construction et de l’urbanisme.
Dans le village voisin d’Elokato, une tension similaire empoisonne les relations entre les populations et les autorités coutumières. Ici aussi, si les accusations pointent des complicités au ministère de la Construction, c’est surtout le rôle trouble de la chefferie et de quelques administrateurs civils qui, aux yeux de certains villageois, la crise foncière dans cette bourgade située à l’Est de la capitale économique ivoirienne.
Bruno Nabagné Koné impute la grande majorité des litiges portées devant les juridictions à ses prédécesseurs. Pour régler la crise en amont, il invente l’Attestation de droit d’usage (ADU). Il s’agit d’un imprimé jugé infalsifiable, qui remplace les attestations coutumières, souvent sources de litiges.
« Nous insistons sur le fait que la signature de l’ADU demeure une prérogative des parties prenantes aux lotissements. Et dans les parties prenantes aux lotissements, le ministère ne figure pas. Des trois signatures prévues, la seule qui est obligatoire, c’est celle du chef. Les deux autres ne peuvent pas signer sans le chef du village », défend Bruno Koné, ce 20 janvier 2025, à l’occasion d’une conférence de presse. Il reste persuadé que son sésame peut ramener l’accalmie dans le foncier urbain.
Dans cette perspective, son prochain cheval de bataille devrait être la politique de lotissement et de professionnalisation des acteurs du foncier, tout comme les agents immobiliers. Car dans le segment de l’immobilier, sévit aussi ce que certains Ivoiriens qualifient de mafia. La demande logements étant largement supérieure à l’offre, c’est bien souvent que les populations se font gruger par des spéculateurs véreux. Pour limiter la casse, le gouvernement a pris des mesures encadrant la location ainsi que l’activité des agents immobiliers.
Ces initiatives du ministre de la Construction et de l’urbanisme contribueront-elles à mettre un terme à la guerre des trônes dans les villages où le rôle prépondérant du chef dans les transactions foncières, est mis en cause ? Incontournables dans la signature des attestations villageoises, certains chefs coutumiers, se sont laissés entraîner dans la spéculation. Une situation qui a aiguisé les ambitions des ‘’têtes couronnées’’, dans nombre de localités et provoqué des conflits liés à la succession ou à la destitution de chefs jugés indélicats.
En attendant les résultats de ces réformes dans le moyen et long terme, le foncier rural reste lui aussi sous pression. L’exode des populations dû aux crises politiques et l’acquisition massive de terres par des non ayant-droits inquiètent. « Nos villages risquent de disparaître si nous ne préservons pas nos terres », alerte régulièrement Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan.